RésuméIMAGE DE SOI ET CRIMINALITECet article represente la seconde partie d'une etude en deux tranches du phenomene de la delinquance et de la criminalite feminines au Canada, aux Etats-Unis, en France et en Belgique, intitulee: Self-Image and Social Representations of Female Offenders, du meme auteur.La premiere partie s'attache a la valeur de « representation sociale » de la criminalite. On y etudie le volume relatif de la criminalite des femmes, la nature specifique des delits et crimes qu'elles commettent et pour lesquels elles sont arretees et inculpees, le traitement qu'on leur fait subir, compare aux dispositions prises a l'endroit des criminels de sexe masculin trouves coupablesdes memes mefaits, les dispositions particulieres des codes criminels qui, en plusieurs cas, prevoient des delits limites aux femmes mais aussi les excluent comme auteurs possibles de plusieurs crimes. Ce sont la des indices des roles assignes aux femmes dans une societe donnee.Les representations sociales ainsi analysees nous ont suggere que non seulement les lois et les sanctions prevues, mais aussi le choix des penalites imposees au moment du prononce de la sentence offrent la meilleure explication de ce taux comparativement tres bas et relativement constant de la criminalite feminine a travers le monde. Ces representations sociales sont des renforcements de roles precedemment prescrits a la femme. Ainsi, la theorie du role (role theory) nous semble la meilleure base d'explication de cet ecart entre la criminalite masculine et la criminalite feminine.La seconde partie, dont le present article est tire, resume une recherche empirique qui a dure pres d'une annee (aout 1966, juin 1967).InstrumentPour mesurer la perception de soi, nous avons utilise un questionnaire bref et direct compose essentiellement de quatre parties. La premiere partie fait appel, chez le repondant, a des donnees conscientes, en l'amenant a decrire la decision la plus importante qu'il juge avoir prise au cours des quelques dernieres annees et les motifs qui ont inspire cette decision. La deuxieme et la troisieme parties referent a du materiel psychologique (intra-psychique) preconscient ou inconscient, par mode de projection, c'est-a-dire que le repondant choisit de nommer les « grandes figures » de bienfaiteur (personnel ou non personnel) et de malfaiteur, resume les «grands gestes» qu'il leur attribue et donne sa perception de leur motivation. La derniere partie est constituee par une fiche bio-socio-psycho-educationnelle ou petite histoire de cas en resume.Rationnel de l'instrument: cet instrument d'analyse est base sur une polarite bien decrite dans l'oeuvre du psychologue et psychanalyste Erikson (1964). Il s'agit d'un continuum allant de la notion d'agent a celle de patient: « agens vs patiens ». Cette polarite est reprise dans les travaux de R.R. Korn (1966) dans les termes suivants: «agent-acteur vs object-spectateur ».Quelle est la signification precise des categories ainsi nommees ? XJagent est, pour Erikson et pour Korn, celui qui se percoit comme capable d influencer le monde, les evenements, les personnes. Il a une prise sur sa vie. Il ne se sent pas « brise » dans ses elans (« unbroken in initiative »). L'objet est celui a qui les choses arrivent («to whom things happen»), celui qui se sent pousse par des forces, internes ou externes, a poser des gestes qui lui paraissent inevitables.Hypotheses: nous avons choisi cet instrument a cause de nos deux grandes hypotheses de depart, l'une etant la condition sociale faite a la femme dans les societes dominees par l'homme (condition d'instrument, d'objet), l'autre etant la position sociale de la femme criminelle et de la jeune fille delinquante dans les societes structurees, position determinee par les codes penaux et par l'organisation repressive, mais aussi par la culture qui privilegie certaines valeurs et fait de la femme leur gardienne (position d'instrument mais aussi de victime). La condition sociale de la femme normale et la position sociale de la femme criminelle sont des « miroirs » (« looking-glass self »), selon la theorie de G.H. Mead, « miroirs » dans lesquels la femme normale et la delinquante trouvent une image d'elles-memes.ResultatsNos resultats peuvent se resumer comme suit: Premiere hypothese: « Les femmes adultes normales d'une societe donnee se percoivent moins que les hommes de la meme couche socio-economique et du meme groupe d'age, comme des agents. » Cette hypothese ne s'est pas verifiee en ce qui touche les Canadiennes francaises. La difference entre hommes et femmes n'est pas significative dans ce groupe. Notre hypothese s'est verifiee chez les Canadiens anglais mais a un niveau de signification peu eleve (x2:0.20). Seconde hypothese: «Les femmes adultes criminelles se percoivent plus comme desobjets et des victimes que les non criminelles d'une part et que les hommes criminels d'autre part. » Cette hypothese s'est verifiee statistiquement et la difference est tres significative dans le premier cas (0.01) et un peu moins dans le second (0.10).Il ressort que si la femme non delinquante, suivant le test « agent-objet », ne se percoit pas de facon sensiblement differente de l'homme non delinquant, par contre la femme criminelle, elle, se percoit nettement comme un objet-spectateur, comme une victime, plus que l'homme criminel et beaucoup plus que la femme non delinquante.